Vous aimez partager des photos de votre bébé sur le groupe WhatsApp de la famille ? Lors de chaque rentrée scolaire, vous postez une photo de votre enfant sur Facebook ? Tous les étés, vous partagez vos vacances sur Instagram à votre communauté ?
A vrai dire, partager des photos de ses enfants sur les réseaux sociaux, aussi appelé sharenting1, est devenu une pratique courante pour de nombreux parents, désireux de capturer et de diffuser les moments précieux de la vie de leurs enfants avec famille et amis. Cependant, cette habitude n’est pas sans risques.
Vous l’ignorez probablement, mais avant de me réorienter dans l’accompagnement parental, j’ai travaillé dans l’informatique en tant que consultante en sécurité informatique et qu’administratrice systèmes et réseaux. J’ai pu, pendant près de 2 ans, évoluer au sein d’un service de recherche et d’identification des cyber-pédocriminels, il est donc important pour moi que les parents soient sensibilisés à ce sujet.
Dans cet article, je vous propose des conseils pratiques et des stratégies de prévention pour partager des photos de vos enfants en ligne en toute sérénité, tout en protégeant leur intimité et leur avenir numérique.
ATTENTION : cet article aborde des sujets pouvant heurter la sensibilité (pédocriminalité, inceste, harcèlement)
Mais d’où vient le danger ?
Le partage de photos de vos enfants sur Internet peut sembler inoffensif, mais il expose vos données et celles de vos enfants à plusieurs dangers souvent méconnus.
- L’image de vos enfants peut être détournée à des fins malveillantes par des tiers extérieurs : le premier risque provient de l’accessibilité de ces images sur les profils publics des réseaux sociaux. Même si vous partagez des photos avec de bonnes intentions, elles peuvent être récupérées, téléchargées, et utilisées à des fins malveillantes par des individus extérieurs, notamment des pédocriminels (53% des contenus pédocriminels sont issus des réseaux sociaux2). De plus, les serveurs informatiques et bases de données des entreprises qui hébergent vos photos ne sont pas infaillibles et peuvent être piratés. Cela entraîne la diffusion non consentie de vos contenus personnels, que votre compte soit en public ou non, sur les réseaux sociaux mais aussi les applications de messagerie comme Messenger ou WhatsApp. Enfin, vous pouvez également vous faire pirater ou voler votre smartphone, ce qui peut mener à la diffusion de vos contenus personnels.
Actualité | En août 2024, après le piratage d’une base de donnée, plus de 3,2 millions de données d’utilisateurs de WhatsApp sont en vente3 sur le Darkweb, un réseau parallèle bien connu des cyber-pédocriminels.
- La publication d’une photo peut dévoiler d’autres informations sur vos enfants : une photo prise avec un smartphone ou un appareil photo renferme des données révélant de nombreuses informations sur votre enfant. En effet, ces images et vidéos intègrent des métadonnées, comme la localisation GPS et l’heure précise de la prise de vue. Elles peuvent également fournir des indices sur les centres d’intérêt de votre enfant ou les lieux qu’il fréquente, des informations sensibles qu’il est préférable de ne pas laisser à la portée de personnes malintentionnées.
- Le danger vient aussi du cercle familial et amical proche : une part importante des abus est malheureusement perpétrée par des personnes de l’entourage proche de l’enfant. En effet, la plupart des actes criminels commis contre des enfants dans un contexte sexuel impliquent des membres de la famille, comme des oncles, des grands-pères ou d’autres proches de confiance. En rendant ces images accessibles, via un groupe WhatsApp familial par exemple, même de manière restreinte, vous pouvez involontairement exposer vos enfants à des individus dont vous ne soupçonneriez jamais les intentions. Lorsque j’exerçais dans ce service, la quasi totalité des pédocriminels téléchargeant en masse ce type de contenus était des hommes, souvent des grands-pères. Beaucoup expliquaient qu’il leur était difficile, je cite, ‘de penser à autre chose alors que nous recevons quotidiennement des photos de nos petits-enfants en couche, en maillot de bain, allongés sur leur lit ou sur les genoux de leurs parents’.
Est-ce qu’il y a un lien entre le visionnage de contenus pédocriminels et l’inceste ?
Bien qu’il puisse y avoir un lien entre le visionnage de contenus pédocriminels et l’inceste, il ne s’agit pas d’une relation simple ou systématique. Le fait de consommer de tels contenus peut être un indicateur de tendances pédocriminelles, mais cela ne signifie pas que tous les consommateurs sont ou deviendront des abuseurs, notamment au sein de leur propre famille. Cependant, la consommation de contenus pédocriminels est en soi un comportement criminel et moralement répréhensible qui contribue à l’exploitation des enfants, et elle doit être traitée avec une vigilance accrue, surtout si l’individu vit avec des enfants. Pour rappel, 10% de la population4 a subi des actes incestueux, et dans 80% des cas, l’auteur est un membre de la famille proche.
- La création d’une identité numérique peut nuire à vos enfants sur le long terme : dès leur plus jeune âge, de nombreux enfants accumulent une « identité numérique » composée de centaines de photos publiées par leurs parents, des images qu’ils auront du mal à effacer une fois adultes. Une étude de l’agence britannique OPINIUM5, publiée en 2018, révèle que les parents d’un enfant de 13 ans ont déjà partagé en moyenne 1 300 photos de lui sur les réseaux sociaux. Les photos et vidéos partagées par les parents, toujours accessibles, peuvent limiter la capacité des enfants à contrôler leur image et à définir leur propre identité. Elles peuvent également nuire à leur réputation en ligne, avec un risque accru de cyberharcèlement, et avoir des répercussions négatives dans leur vie scolaire, personnelle ou professionnelle future.
Ainsi, il est crucial de prendre en compte ces risques potentiels, tant externes qu’internes, avant de partager des photos de vos enfants en ligne. Adopter des pratiques sécurisées et réfléchir aux conséquences de chaque publication peut faire une réelle différence pour la protection de leur intimité et de leur sécurité.
Quelles sont les bonnes pratiques à adopter ?
Vous l’aurez compris, le plus sûr reste de ne pas partager des photos ou vidéos de votre enfant, quelque soit l’application, le réseau social ou le service de messagerie. Cependant, si vous souhaitez en partager à vos proches, voici quelques bonnes pratiques6 :
- Le plus sûr reste de ne pas publier ou partager de photos de votre enfant : ne publiez pas de contenu de votre enfant en ligne et dans la mesure du possible, ne partagez pas de photos à votre entourage via des applications ou services de messagerie (WhatsApp, Messenger, Facebook, FamilyAlbum…). Une alternative intéressante reste donc la création d’album photo papier, que vous pourrez feuiller avec vos proches lors des repas de fête ou encore, s’ils résident à l’étranger, vous pouvez leur envoyer, bi-annuellement par exemple, un petit album photo souvenir.
- Demandez l’accord de votre enfant et de l’autre parent avant toute publication : avant de partager une photo ou une vidéo de votre enfant sur les réseaux sociaux, il est important d’en discuter avec lui et d’obtenir son consentement. Si votre enfant n’est pas en âge de donner son consentement éclairé, alors ne publiez pas de photos ou de vidéos de lui en ligne. Il est également essentiel de demander l’accord de l’autre parent le cas échéant. Plusieurs décisions de justice précisent que la diffusion de photos d’enfants, notamment sur les réseaux sociaux, constitue un acte non habituel qui requiert l’approbation des deux parents. Un juge peut ainsi interdire à l’un des parents de publier des photos des enfants sans le consentement de l’autre.
Quels sont les droits de vos enfants ?
Depuis 1989 et la Convention internationale des droits de l’enfant, chaque mineur a le droit de « préserver son identité, son nom et ses relations familiales ». Il doit aussi être préservé des « immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée » et les « atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ». Le droit à l’image est un droit jurisprudentiel qui découle du droit au respect de la vie privée prévu à l’article 9 du code civil.
- En ligne, préférez le partage via courriel ou MMS : plutôt que de publier des photos et vidéos de votre enfant sur les réseaux sociaux, optez pour des échanges par courrier électronique ou par MMS, qui sont des options à privilégier. N’oubliez pas de demander à votre entourage de ne pas publier ces photos ou vidéos sans votre accord.
- Limitez le partage de certaines photos et vidéos et masquez le visage de votre enfant : sélectionnez les photos et vidéos avec soin. Évitez de partager des photos ou vidéos qui relèvent de son intimité, comme celles où il est en maillot de bain ou dans son bain. Il est aussi recommandé de dissimuler le visage de votre enfant (en le photographiant de dos ou en ajoutant une émoticône sur son visage, par exemple) avant de les publier. A noter que des logiciels sont utilisés par les pédocriminels pour retirer les masquages, qui de toute évidence, ne les empêchent aucunement de consommer ce contenu.
- Parlez des dangers et des bonnes pratiques avec vos enfant : expliquez à vos enfants les risques en ligne, tels que le cyberharcèlement, les prédateurs en ligne, et l’exposition à du contenu inapproprié. Apprenez-leur à ne pas partager d’informations personnelles, à reconnaître les tentatives de manipulation, et à ne jamais rencontrer quelqu’un qu’ils ont connu en ligne sans votre accord.
- Naviguez ensemble et restez informé de ses activités en ligne : accompagnez vos enfants lorsqu’ils explorent Internet, surtout lorsqu’ils sont jeunes. Restez informé des sites web qu’ils visitent, des jeux auxquels ils jouent, et des applications qu’ils utilisent.
- Paramétrez des outils et des logiciels de contrôle parental : utilisez des logiciels de contrôle parental pour restreindre l’accès à certains contenus et surveiller l’activité en ligne. Ces outils permettent aussi de définir des limites de temps d’écran. Assurez-vous que les paramètres de confidentialité sur les réseaux sociaux et autres plateformes sont correctement configurés pour limiter l’exposition de vos enfants.
Pour aller plus loin…
- Livret – Protégez la vie privée de vos enfants
- Les droits numériques des mineurs
- Rapport de la Défenseure des droits de 2022 « la vie privée : un droit pour l’enfant »
- Étude de 2023 de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Education numérique, intitulée « Parents influenceurs »
Sources :
- Le « sharenting » (mot-valise anglais composé de share, partager, et parenting, parentalité) est une pratique qui consiste, pour les parents, à publier des photos ou des vidéos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. ↩︎
- https://www.open-asso.org/etude-parents-influenceurs-open-potloc-2023/ ↩︎
- https://www.rtl.be/actu/magazine/hi-tech/plus-de-3-millions-de-donnees-dutilisateurs-belges-de-whatsapp-en-vente-sur-le/2024-08-21/article/702399 ↩︎
- https://fr.statista.com/themes/8097/la-pedocriminalite-en-france/#topicOverview ↩︎
- https://www.nominet.uk/2-7m-parents-share-family-photos-complete-strangers-online/ ↩︎
- https://www.cnil.fr/fr/partage-de-photos-et-videos-de-votre-enfant-sur-les-reseaux-sociaux-quels-sont-les-risques ↩︎