Endormissement autonome : comprendre et favoriser l’autonomie au sommeil

Un sujet controversé et mal compris

L’autonomie au sommeil des bébés est un sujet complexe, controversé, avec des mythes et des idées préconçues qui circulent abondamment. De nombreux parents et professionnels s’intéressent à cette question cruciale du développement de l’enfant, se demandant comment encourager leur bébé à dormir de manière indépendante, tout en répondant à ses besoins émotionnels et physiologiques.

Certains soutiennent qu’autonomiser les bébés dès le plus jeune âge est essentiel pour permettre au bébé de développer des compétences d’auto-apaisement et, en finalité, lui apprendre l’endormissement autonome. D’autres estiment que laisser pleurer un bébé pour l’encourager à s’endormir de manière autonome est un non-sens physiologique total pouvant être préjudiciable à son bien-être émotionnel et au lien d’attachement avec ses parents.

Mais alors, faut-il laisser un enfant pleurer pour lui apprendre à développer ses compétences d’auto-apaisement ? Est-ce que la mise en place d’un endormissement autonome peut rendre un bébé plus autonome ? Est-ce qu’on peut le mettre en place sans pleurs ? Quoi faire pour qu’un enfant développe son autonomie au sommeil ? Il est crucial aujourd’hui, grâce à l’avancée des neurosciences, d’aborder ce sujet avec un regard critique et informé, en se basant sur des preuves scientifiques.

Dans cet article, vous en apprendrez plus sur l’autonomie à l’endormissement, au sommeil, sur les fameuses capacités d’auto-régulation et leur développement.

S’endormir seul VS s’endormir en autonomie

Avant d’aller plus loin, il est indispensable de comprendre la différence fondamentale qu’il y a entre « s’endormir seul », et « s’endormir en autonomie ».

Lorsque l’enfant s’endort seul, cela signifie simplement qu’il peut s’endormir sans assistance à un moment donné, tandis qu’un endormissement autonome suggère un niveau de compétence, de compréhension et de confiance permettant de prendre des décisions et d’agir de manière indépendante.

Prenons l’exemple d’un enfant qui apprend à attacher ses lacets.

  1. Faire seul :
    • À un stade précoce, un parent peut enseigner à l’enfant à faire ses lacets en le guidant à travers les mouvements nécessaires.
    • L’enfant peut effectuer la tâche avec une assistance directe, où le parent est activement impliqué dans le processus et offre une aide constante.
  2. Être autonome :
    • À mesure que l’enfant acquiert de l’expérience et de la pratique, il peut commencer à attacher ses lacets de manière plus indépendante.
    • Savoir faire seul implique que l’enfant a intégré la compétence dans son répertoire, peut effectuer la tâche de manière autonome sans avoir besoin d’une assistance constante.

Il est possible de conditionner un enfant à ‘faire seul’ grâce à du conditionnement positif (encouragement, soutien des compétences intrinsèques, récompense) ou négatif (punition, mise à distance, découragement des signaux…). D’ailleurs, il n’est pas rare qu’un enfant de 3, 5 ou 8 mois puisse être déposé éveiller dans son lit et s’y endorme seul, sans que les parents n’aient eu recours à des méthodes de conditionnement au sommeil. Cela va alors fort dépendre des capacités internes de l’enfant et de son tempérament.

En effet, les méthodes de conditionnement au sommeil (tels que la méthode 5/10/15, 15 semaines, Chrono-Dodo ou encore la méthode de la chaise) constituent un conditionnement négatif, incitant l’enfant à ne plus se signaler.

Sur les réseaux sociaux, le terme « d’endormissement autonome » est fréquemment utilisé pour désigner ces méthodes de conditionnement, alors qu’il ne s’agit ici pas du tout du développement précoce des capacités d’autonomie. Je vous invite vivement à être vigilant lorsqu’un(e) coach en sommeil vous parle d’endormissement autonome pour des enfants âgés de seulement quelques mois.

Comme nous l’explique le psychiatre et neurologue Dr Brisch dans cet article, lorsque l’on laisse pleurer l’enfant x secondes ou minutes dans son lit dans le but qu’il ‘apprenne à s’endormir seul’, il ne s’agit absolument pas d’une auto-régulation réussie, bien au contraire, ce manque de réactivité de l’adulte peut induire un retard de développement des capacités d’auto-régulation (associé à tort à la notion d’auto-apaisement) de l’enfant.

En résumé, être conditionné à s’endormir seul suggère une dépendance à des facteurs externes, des influences ou des renforcements (positifs ou négatifs), tandis qu’être autonome lors de son endormissement indique une capacité à agir de manière indépendante, basée sur des compétences internes et une motivation personnelle.

L’autonomie à l’endormissement et au sommeil

L’autonomie à l’endormissement et l’autonomie au sommeil sont deux concepts différents. Voici la différence entre les deux :

  • L’autonomie à l’endormissement (ou endormissement autonome) fait référence à la capacité d’un bébé à s’endormir par lui-même, sans avoir besoin d’aide extérieure, telle que le bercement, l’allaitement, ou d’autres types de stimulation pour s’endormir. Il sait comment se calmer et s’endormir par ses propres moyens, sans qu’un parent reste avec lui jusqu’à ce qu’il s’endorme.
  • L’autonomie au sommeil concerne la capacité du bébé à se rendormir par lui-même lorsqu’il se réveille pendant la nuit. Il peut alors se rendormir sans avoir besoin d’être pris dans les bras, d’être mis au sein ou d’avoir une intervention extérieure par exemple.

En clair, un endormissement autonome ne signifie pas que l’enfant est en capacité d’enchaîner les cycles de sommeil en autonomie, et inversement.

Ces deux formes d’autonomie sont des compétences importantes pour de nombreux parents, qu’ils cherchent à encourager chez leur bébé. Cependant, il est essentiel de comprendre que l’autonomie à l’endormissement et au sommeil sont des processus physiologiques évolutifs qui dépendent de quatre facteurs :

  • les capacités d’auto-régulation innées et internes de l’enfant : on ne peut pas y faire grand-chose, la génétique y est pour beaucoup, et cela varie également en fonction de tempérament de l’enfant, c’est très variable,
  • la proximité et le contact avec ses parents : une parentalité proximale, l’allaitement maternel, la pratique du cododo ou du cosleeping sont des facteurs favorisants par exemple,
  • la qualité de son système de co-régulation,
  • son stade de maturation cérébrale (sensiblement lié à l’âge), principalement de son système limbique et de son cortex préfrontal.

La clé : la co-régulation parent-enfant

La co-régulation chez le bébé fait référence à un processus interactif et dynamique entre le bébé et son parent, où ce dernier joue un rôle actif dans la régulation des émotions et des états du bébé. Lorsque les bébés naissent, ils dépendent complètement des adultes pour répondre à leurs besoins physiologiques et émotionnels. La co-régulation est essentielle pendant cette période de développement car elle permet au bébé d’apprendre progressivement à réguler ses émotions et ses réactions face au monde qui l’entoure.

Accompagner son enfant avec bienveillance et réactivité favorise une relation sécurisante, appelée communément lien d’attachement sécure.

Ce lien d’attachement est primordial pour que le bébé développe des compétences d’auto-régulation à mesure qu’il grandit et devient de plus en plus indépendant. Bercer son enfant pour l’aider à s’endormir, le mettre au sein ou encore le garder à côté de soi sont des éléments qui vont, au fil des mois, nourrir l’autonomie de l’enfant.

Vous l’aurez compris, laisser un enfant pleurer dans l’espoir qu’il développe ses capacités d’auto-apaisement est contre productif, et en réalité délétère, car ce manque de réactivité représente un frein plus ou moins important dans le développement de ses capacités d’auto-régulation.

Le développement des compétences émotionnelles

Le développement de la régulation émotionnelle chez les enfants est un processus progressif qui varie d’un enfant à l’autre. Il est influencé par divers facteurs tels que la maturité cognitive, les expériences vécues et les interactions sociales. Voici une vue générale des étapes du développement de la régulation émotionnelle chez les enfants :

Nouveau-né à 6 mois : Co-régulation émotionnelle
   – Les nourrissons dépendent fortement de la co-régulation émotionnelle, nécessitant la présence et la réactivité des soignants pour répondre à leurs besoins émotionnels.
   – Les soignants aident à calmer le bébé en répondant à ses signaux émotionnels, en le berçant, en le câlinant et en lui offrant une sécurité physique et émotionnelle.

6 mois à 12 mois : Émergence de l’auto-régulation émotionnelle
   – Les bébés ne disposent alors que de certains mécanismes tels que la succion volontaire (du sein, d’une tétine ou du pouce) ou le détournement de regard pour diminuer les états émotionnels négatifs. Ces stratégies sont particulièrement peu efficaces et limitées. Les enfants entre 6 et 12 mois sont encore largement dépendants des adultes pour réguler leurs émotions.

1 à 2 ans : Ambivalence importante entre dépendance et volonté d’autonomie
   – Émergence de la connaissance de soi et de la conscience de sa propre réaction affective. L’enfant commence à découvrir l’ensemble du panel des émotions.
   – L’enfant exprime souvent une irritabilité due aux contraintes et aux limites imposées malgré l’autonomie grandissante et les besoins d’exploration. Il se retrouve tiraillé entre son envie d’autonomie et sa grande dépendance. La co-régulation est encore centrale.

2 à 4 ans : Acquisition de compétences d’auto-régulation
   – Entre 2 et 4 ans, ils continuent de développer des compétences d’auto-régulation émotionnelle : ils peuvent utiliser des mots pour exprimer leurs émotions, bien que cela puisse parfois être limité. Il y a une période de forte évolution permettant à l’enfant d’acquérir plus aisément de l’autonomie à l’endormissement. En effet, à cet âge, le cortex préfrontal (zone du cerveau qui permet de gérer les émotions et réguler le système nerveux) débute sa croissance, permettant à l’enfant de mieux gérer ses émotions. Cette maturation cérébrale devient vraiment efficiente vers l’âge de 4 et 7 ans, mais est considérée comme achevée vers l’âge de 25 ans.

5 à 7 ans : Développement de la conscience émotionnelle
   – Les enfants développent une conscience plus nuancée de leurs émotions et commencent à reconnaître les émotions chez les autres.
   – Ils apprennent à utiliser des stratégies verbales et non verbales pour exprimer et réguler leurs émotions.

8 à 12 ans : Affinement des compétences de régulation émotionnelle
   – Les enfants continuent d’affiner leurs compétences de régulation émotionnelle, intégrant des stratégies plus sophistiquées.
   – Ils sont capables d’utiliser des stratégies de régulation très spécifiques telles
que la résolution de problèmes, la recherche de soutien, la distraction ou la réévaluation

Il est essentiel de noter que le développement émotionnel est un processus continu, et certains enfants peuvent progresser à des rythmes différents. Le soutien émotionnel constant des parents et des éducateurs joue un rôle crucial dans le développement de la régulation émotionnelle.

Soutenir le développement de l’auto-régulation chez l’enfant

L’auto-régulation se définit par la capacité de gérer ses émotions, son attention et son comportement en réponse à différentes situations et stimuli.

Les bébés commencent à développer des capacités d’auto-apaisement dès la fin de la première année de vie, mais leur capacité à le faire s’améliore progressivement au fur et à mesure de leur croissance et de leur développement. La co-régulation parent-enfant est donc primordiale pour un développement optimal de l’auto-régulation chez le jeune enfant.

Voici quelques éléments clés pour favoriser l’acquisition de ces compétences :

  • Une réponse réactive aux besoins de l’enfant : les interactions positives et sensibles entre les parents et le bébé dès la naissance sont essentielles pour développer des capacités d’auto-régulation. Répondre rapidement et attentivement aux besoins du bébé, le réconforter lorsque nécessaire, créer un environnement sécurisé et prévisible sont des éléments fondamentaux pour l’aider à se sentir en sécurité et à développer des mécanismes d’auto-apaisement.
  • Un apprentissage par l’imitation : les enfants apprennent beaucoup par l’observation et l’imitation de leurs parents et des adultes qui les entourent. Lorsque les adultes montrent des stratégies positives d’auto-régulation, comme gérer le stress de manière adaptée ou utiliser des techniques de relaxation, les enfants sont plus susceptibles de les intégrer dans leur propre comportement.
  • Routines et rituels d’endormissement : établir des routines quotidiennes cohérentes et mettre en place des rituels d’endormissement aide les enfants à anticiper ce qui va se passer et à se sentir en sécurité.
  • Jeu libre et imagination : le jeu libre permet aux enfants d’explorer leurs émotions et de tester différentes stratégies d’auto-régulation dans un environnement sans risque. Le jeu symbolique et l’utilisation de l’imagination peuvent également être des moyens pour les enfants d’exprimer et de gérer leurs émotions.

Conclusion

Pour résumer, voici une rapide comparaison entre l’endormissement solitaire et l’endormissement autonome :

  • un enfant peut s’endormir SEUL à tout âge sans que cela ne soit associé à un conditionnement négatif : il est alors conditionné à s’endormir sans l’aide de son parent. Ce conditionnement est ici positif, profitant des capacités innées et du tempérament de l’enfant, lui-même disposé à s’endormir seul sans que cela ne génère le moindre état de stress. Par exemple, Nina, 4 mois, est déposée éveiller dans son berceau cododo pour sa sieste du matin. Sa maman lui donne sa tétine, lui fait un dernier bisou avant de sortir de la chambre. Nina n’a jamais pleuré ou été négativement conditionnée à s’endormir seul et trouvera son sommeil paisiblement en quelques minutes.
  • un enfant peut s’endormir SEUL à tout âge suite à un conditionnement négatif : les parents ou soignants ont alors recours à des méthodes de conditionnement au sommeil entraînant parfois une mise à distance ou une ignorance des signaux de l’enfant, souvent des pleurs, pendant quelques secondes ou minutes, voire totalement. L’enfant va alors, en seulement quelques jours, se résigner et cesser d’appeler sa figure d’attachement afin de se préserver au maximum. L’enfant s’endort seul, mais dans un état de stress important.
  • un enfant peut s’endormir en AUTONOMIE lorsqu’il en a les capacités : la majorité des enfants acquerront la maturité cérébrale et les compétences émotionnelles nécessaires à un endormissement autonome entre l’âge de 2 et 6 ans. Avant cela, il reste tout à fait normal qu’un enfant ait besoin de son système de co-régulation (et donc de son parent) pour s’endormir, de manière systématique ou occasionnelle.

Il est important de se rappeler que le développement des capacités d’auto-régulation est un processus individuel et qu’il varie d’un enfant à l’autre. Certains enfants peuvent avoir besoin de plus de temps et d’encouragement pour développer ces compétences, et c’est normal. Fournir un environnement sécurisé, aimant et favorable, ainsi que soutenir l’enfant dans son développement émotionnel, sont des éléments essentiels pour l’aider à développer ces compétences d’auto-apaisement tout au long de son enfance et de son adolescence.

Pour finir, je souhaiterais rappeler que la majorité des mammifères, comme les Homo Sapiens sont historiquement et biologiquement adaptés au sommeil en groupe plutôt qu’au sommeil solitaire. D’ailleurs, d’après une étude américaine (Fuentes 2022), dormir à plusieurs améliore généralement la qualité de sommeil, réduit le risque d’apnée du sommeil et la durée des insomnies. Chez les adultes, les personnes célibataires vivants seuls sont plus à risque de développer des troubles du sommeil.