Les fausses croyances sont particulièrement nombreuses lorsqu’il s’agit du sommeil des enfants allaités : un sommeil plus fractionné, moins qualitatif, des enfants qui n’arrivent pas à enchaîner les heures de sommeil tant qu’ils sont allaités….
De nombreuses études sur le sommeil des nourrissons reposent uniquement sur des données rapportées par les parents. L’objectif de cet article est d’examiner si les paramètres de sommeil nocturne des nourrissons exclusivement allaités et ceux des enfants nourris au biberon de lait artificiel diffèrent. Nous nous demanderons également si ces résultats sont conformes aux données rapportées par les mères ou pas.
Cet article vise à vulgariser une étude datant de 2018, “Discrepancies in maternal reports of infant sleep vs. actigraphy by mode of feeding”, du Dr Rudzik et al.
Des prises de mesures objectives
Dans cette étude, 50 dyades mère-nourrisson ayant l’intention d’allaiter ou de nourrir au biberon exclusivement pendant 18 semaines ont été recrutées. Les mères étaient âgées de 18 à 45 ans et les nourrissons étaient des nouveau-nés à terme, de poids de naissance normal et uniques.
Les données sur le sommeil des nourrissons ont été collectées de manière bihebdomadaire, de la quatrième à la dix-huitième semaine après l’accouchement, à la fois par déclaration maternelle et par actigraphie. L’actigraphie est un examen non-invasif. L’actigraphe ressemble à un petit bracelet de la taille d’une montre, qui enregistre la présence de mouvement. L’examen permet d’identifier les périodes de sommeil/veille pendant le jour et la nuit.
La durée totale du sommeil nocturne
Dans un premier temps, les chercheurs se sont intéressés à la durée totale de la nuit. Pour cela, ils ont demandé aux mères de noter les temps de sommeil de leur enfant dans un agenda de sommeil, en complément des prises de mesure objectives par actigraphie, grâce à l’actigraphe placé à la cheville de l’enfant.
Voici les résultats, par âge (de 1 à 4 mois) :
On constate que le ressenti des mères (allaitantes ou non) est sensiblement cohérent par rapport aux mesures de l’actimétrie. Il y a dès le second mois cependant une légère surestimation de la durée de sommeil par les mères, principalement celles dont l’enfant est nourri au lait artificiel.
Il est essentiel de noter également qu’en moyenne, les bébés âgés de 1 à 4 mois dorment entre 8h et 11h par nuit, ce qui semble assez éloigné des recommandations diffusées par certains coachs en sommeil, qui déclarent alors qu’un enfant de cet âge « devrait dormir 12 heures par nuit au minimum » pour être en bonne santé.
La plus longue période de sommeil sans réveil
Cette étude examine ensuite la période de sommeil la plus longue entre deux réveils. Voici les résultats obtenus, qui sont vous allez le voir, très surprenants :
On remarque aisément une très forte différence entre le ressenti des mères et la réalité. Cette incohérence augmente avec l’âge, mais elle est encore plus fortement marquée chez les mères donnant du lait artificiel.
Ces dernières déclarent par exemple à 4 mois que leur enfant, en moyenne, peut dormir près de 8h sans se réveiller. Ces parents ont l’impression que leur bébé ‘fait ses nuits’, ce qui n’est en réalité pas le cas, les mesures par actigraphie démontrant une durée maximale de sommeil cumulée de 3h, ce qui est très proche des enfants allaités.
Grâce à ce graphique, nous constatons que plus l’enfant grandit, plus il semble en capacité de se rendormir sans l’assistance de son parent, ce qui explique ces incohérences entre le ressenti parental et les prises de mesure. Cette capacité évolue naturellement avec l’âge.
En moyenne, un enfant se réveille toutes les 2 à 3 heures pendant la nuit. On ne distingue ici aucune différence objective entre les enfants allaités et ceux nourris au lait artificiel.
Le nombre de réveils nocturnes
Enfin, l’une des données essentielles de cette étude de 2018 est le nombre de réveils perçus par les parents comparé au nombre réel de réveils.
Voici les résultats :
Encore une fois, on constate des discordances importantes entre le ressenti des mères et les mesures objectives. En effet, à 4 mois, les mères donnant du lait artificiel relèvent seulement 1.8 réveil, alors qu’en réalité, l’enfant s’est réveillé 8 fois au cours de sa nuit.
D’ailleurs, à l’âge de 4 mois, les enfants allaités présentent moins de réveils que ceux nourris au lait artificiel, ce qui pourrait démontrer une meilleure instauration de leur rythme circadien. Certaines études vont effectivement en ce sens car lors de l’allaitement, l’enfant va profiter des sécrétions de mélatonines de la mère, ce qui aide grandement à la consolidation du rythme.
Encore une fois, ces données nous permettent de comprendre qu’il est tout à fait normal qu’un enfant se réveille régulièrement la nuit, environ 6 à 10 fois entre l’âge de 1 et 4 mois de vie. Aussi, on constate une diminution progressive du nombre perçu de réveils par les mères, ce qui semble indiquer qu’avec l’âge, un enfant enchaîne naturellement plus des périodes de sommeil sans appeler son parent.
Enfin, la durée des réveils nocturnes baisse également avec l’âge, sans distinction notable en fonction du mode d’alimentation. Un enfant de 1 mois va alors, en moyenne, passer environ 4 heures de sa nuit éveillé, contre un peu plus de 2 heures pour les bébés âgés de 4 mois. Le ressenti maternel est cohérent par rapport aux prises de mesure par actigraphie en ce qui concerne la durée des réveils nocturnes.
Pourquoi certains bébés réveillent leurs parents plus que d’autres ?
C’est une question que se pose beaucoup de parents : « Pourquoi le bébé de la voisine, qui a pourtant presque le même âge que le nôtre semble faire ses nuits, alors que notre bébé nous réveille encore 3 à 5 fois par nuit ? »
Nous l’avons bien vu avec cette étude, le ressenti des parents est souvent assez loin de la réalité. Plusieurs facteurs peuvent influencer sur le fait qu’un bébé va appeler ou non son parent pour se rendormir :
- le tempérament de l’enfant : c’est un fait, les enfants n’ont pas tous le même tempérament et certains vont, tout naturellement, moins solliciter leurs parents que d’autres pour se rendormir la nuit ;
- la génétique : le sommeil nocturne tout particulièrement, est fort influencé par le bagage génétique de l’individu. La fréquence et la durée des réveils, mais aussi le besoin de sommeil va être impacté par la génétique ;
- l’environnement de sommeil : un enfant partageant le lit ou la chambre de ses parents pourra plus facilement obtenir l’aide de son parent de par cette grande proximité. Cela permet une réponse réactive aux besoins de l’enfant, ce qui est recommandé ;
- le recours aux méthodes d’extinction / de conditionnement : un enfant à qui on a appris à ne plus se signaler le fera moins ou pas du tout. L’utilisation des méthodes de conditionnement au sommeil est encore importante, surtout dans certains pays d’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord. Ces méthodes n’améliorent aucunement le sommeil de l’enfant, qui va se réveiller aussi fréquemment que les autres. Il n’osera alors pas appeler sa figure d’attachement par crainte de recevoir une réponse inadaptée ou tout simplement une absence de réponse.
Bien évidemment, tout cela dépend de bien d’autres facteurs, tels que l’état de santé de l’enfant, la relation de la dyade parente ou encore l’humeur parentale pour ne citer que ça.
En résumé
Pour conclure, cette étude nous démontre que :
- les enfants allaités dorment autant que ceux nourris au lait artificiel ;
- les enfants de 1 à 4 mois dorment en général entre 8 et 11 heures par nuit ;
- la période de sommeil la plus longue est comprise entre 2 et 3 heures pour la majorité des enfants, qu’ils soient allaités ou non ;
- la fréquence et la durée des réveils nocturnes restent sensiblement les mêmes quelque soit le mode d’alimentation ;
- le ressenti maternel est particulièrement variable, et souvent, les mères donnant du lait artificiel surestime la qualité de sommeil de leur enfant ;
- la durée totale de la nuit, la période de sommeil la plus longue et la fréquence des réveils ne semblent pas associées à l’emplacement du sommeil (partage de chambre ou non).
Des sources complémentaires sont disponibles directement à la fin de l’étude de 2028, “Discrepancies in maternal reports of infant sleep vs. actigraphy by mode of feeding”, du Dr Rudzik et al.